La Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM) était un enfant de nécessité, né dans le contexte d’un conflit somalien exacerbé et de l’émergence de l’Union des Tribunaux Islamiques (ICU) en 2006 en tant que force dominante dans la lutte pour le contrôle de Mogadiscio. Ainsi, la Mission d’Appui à la Paix de l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD) en Somalie (IGASOM), initialement conçue comme une mission de protection et de formation à la fois par l’IGAD et l’UA pour être déployée en Somalie en 2006, a cédé la place à l’AMISOM, via le Communiqué du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’UA, du 19 janvier 2007. Pour mettre en exergue l’unité d’objectif entre l’UA et les Nations unies (NU) sur la question, le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU), par la résolution 1744 de 2007, a approuvé la décision du CPS et autorisé le déploiement de la Mission en Somalie.
Le mandat initial de l’AMISOM et son évolution
Le paragraphe 8 du communiqué du CPS de l’UA de 2007 a mandaté l’AMISOM pour entre autres :
« (i) apporter un appui aux Institutions Fédérales de Transitions (IFT) dans leurs efforts pour la stabilisation de la situation dans le pays et la poursuite du dialogue et de la réconciliation, (ii) faciliter la fourniture de l’aide humanitaire, et (iii) créer des conditions propices à la stabilisation, à la reconstruction et au développement à long terme en Somalie »
Le CSNU a reflété le mandat de l’UA à travers sa Résolution 1744 de février 2007.
Bien que les mandats de l’AMISOM aient évolué au fil des années, les obligations de protéger les Institutions Fédérales et de les aider à s’acquitter de leurs fonctions de gouvernement, de soutenir le dialogue et la réconciliation, de protéger les civils, les infrastructures importantes et les sites sensibles, de faciliter l’approvisionnement en fournitures humanitaires et d’appuyer les activités de stabilisation, sont restées des thèmes récurrents du mandat de l’AMISOM.
Réalisations de l’AMISOM
Alors que l’AMISOM entame son retrait final et sa sortie de la Somalie, il convient de souligner, dans les limites d’un éditorial de cette nature, certaines de ses principales réalisations :
- L’AMISOM a joué un rôle vital dans la protection du Gouvernement de Transition et des Gouvernements Fédéraux Somaliens qui ont suivi ;
- L’AMISOM a dégradé Al Shabab et repoussé le gros de ses forces de Mogadiscio et de toutes les autres zones libérées à travers les secteurs ;
- L’AMISOM a contribué à élargir l’accès humanitaire et fourni diverses formes de secours à un nombre important de Somaliens ;
- Aux côtés des Forces de Sécurité Somaliennes, l’AMISOM fournit toujours la base de sécurité dont dépendent tous les autres acteurs internationaux pour travailler en Somalie dans une sécurité relative.
A la veille du déploiement de l’AMISOM en Somalie en 2007, le centre-sud de la Somalie était en proie à diverses entités et seigneurs de guerre revendiquant différentes parties du pays. Les flambées répétées de conflits à Mogadiscio ont entraîné la mort de nombreux civils et le déplacement d’autres. En effet, la plupart des Institutions Fédérales de Transition (IFT), y compris le Parlement Fédéral de Transition, étaient basées à l’extérieur de Mogadiscio, dans la ville de Baidoa, à 80 km à l’ouest. Pour ces raisons, par conséquent, certaines des réalisations les plus visibles, les plus stabilisatrices et les plus ambitieuses de l’AMISOM ont été la reprise de diverses étendues de territoire jusqu’alors sous le contrôle d’Al-Shabaab (AS) et de divers autres Groupes d’Opposition Armée (GOA) et l’élargissement de l’espace territorial dans lequel le Gouvernement et ses institutions pourraient projeter leur autorité, poursuivre les efforts de dialogue et de réconciliation et exercer leurs fonctions de gouvernement.
Après l’impasse initiale entre l’AMISOM et les GOA en 2007-2010 (due, en grande partie, aux problèmes liés au soutien logistique prévisible à la Mission et au nombre limité de soldats de l’AMISOM), à partir de 2010, l’AMISOM a commencé le processus de capture des villes et villages alors sous le contrôle d’AS. Des opérations offensives majeures suivantes ont été entreprises : Panua Eneo (2011) ; Free Shabelle, Eagles (mars 2014), Indian Ocean (novembre 2014), Ocean Build (novembre 2014-juillet 2015), Juba Corridor (juillet 2015), Badbaado 1a et 1b (2018-2019). Ces opérations ont conduit à la récupération de la grande majorité des villes et villages de la Somalie, permettant à la gouvernance, aux activités économiques, sociales et politiques de prospérer dans le pays.
L’AMISOM a également apporté des contributions importantes à la capacitation de la Police Somalienne à travers le renforcement des capacités institutionnelles et individuelles de la Police Somalienne par le biais de la formation, du mentorat, des conseils et du lancement de Projets à Impact Rapide (PIR). La Police Somalienne a bénéficié et continue de bénéficier d’un appui opérationnel de la composante via des patrouilles conjointes et la sécurisation de diverses élections. Les efforts de l’AMISOM à cet égard ont conduit à une amélioration de la situation de l’ordre public et à un renforcement de la collaboration entre la Police et les Communautés Somaliennes.
Alors que la reprise des villes et villages énumérés ci-dessus a fait la une des journaux, c’était en effet le moyen d’atteindre des objectifs plus nobles. L’état final souhaité de l’UA en Somalie a toujours été d’aider à apporter la paix et la stabilité dans le pays, de promouvoir le dialogue, la réconciliation et l’inclusivité et de consolider les progrès vers la réalisation d’un pays sûr, uni, pacifique, démocratique et développé, avec des Forces de Sécurité Somaliennes(FSS) autonomes et responsables, capables d’assumer l’entière responsabilité de la sécurité nationale et de la protection du pays et de ses citoyens. Dans cette optique, par conséquent, ce qui s’est passé après les récupérations est sans doute plus important que les récupérations elles-mêmes. L’AMISOM a joué un rôle important dans divers processus politiques, de réconciliation et de renforcement de l’État, aboutissant à la création d’États Membres Fédéraux supplémentaires (EMF) à Galmudug, Hirshabelle, Sud-Ouest et Jubaland, ainsi qu’à la création de l’Administration Régionale de Banadir dans la municipalité de Mogadiscio. L’AMISOM a appuyé les ministères concernés par le biais d’un bon nombre d’activités de renforcement des capacités institutionnelles, de Projets à Impact Rapide, d’intégration du Genre, de questions de Protection et de conseils sur le Droit International Humanitaire et le Droit International des Droits de l’Homme. Les activités de l’AMISOM à cet égard ont encore renforcé la volonté de la Somalie d’édifier l’État et le fédéralisme et de rapprocher les dividendes de la démocratie à la population au niveau local.
Défis et leçons apprises pour la nouvelle mission
Malgré les succès de l’AMISOM, des défis considérables ont entravé ses opérations, qui devraient attirer et attirent l’attention de l’UA, de l’ONU, du GFS et des partenaires au moment où ils préparent le chemin d’une mission de remplacement de l’AMISOM.
L’amélioration du « modèle AMISOM » pour l’adapter à une Mission de Transition engagée dans une guerre asymétrique
Le « modèle AMISOM » met en pratique le principe et la complémentarité de l’« arrangement régional » de l’ONU, selon lequel l’UA, qui fournit des troupes et d’autres ressources humaines à l’AMISOM, est en mesure d’accéder à la contribution statutaire de l’ONU pour la fourniture d’un soutien logistique à l’AMISOM par le biais de l’UNSOS, tandis que l’UE paie les indemnités du personnel en uniforme de l’AMISOM et les salaires de sa composante civile. Au fil des ans, l’AMISOM et les dirigeants de l’ONU ont réussi à forger une relation de compréhension mutuelle pour s’acquitter de leurs mandats respectifs. Pourtant, les défis de la distribution de fournitures logistiques dans un grand théâtre d’opérations comme la Somalie demeurent. Des solutions durables doivent être trouvées à ce problème de manière rapide, efficace et appropriée, pour la nouvelle Mission.
Fourniture d’un niveau approprié de catalyseurs et de multiplicateurs de force pour améliorer l’efficacité opérationnelle de la nouvelle mission
Au fil des ans, Al Shabaab a fait preuve de résilience et d’une étonnante capacité à s’adapter et à se réinventer. Contrairement à son incarnation précédente, son modus operandi au cours des 8 dernières années environ a été d’engager les troupes de l’AMISOM et de l’armée somalienne dans une guerre asymétrique, en particulier par la pose d’engins piégés (leur arme de choix) sur les principales routes d’approvisionnement et la réalisation d’opérations cinétiques dans les agglomérations, faisant des victimes civiles. Pour atténuer cela, la nouvelle Mission doit améliorer sa capacité de lutte contre les EEI, sa capacité à collecter et à traiter des informations, et sa capacité à mployer les éléments de rapidité et de surprise lorsqu’elle agit sur les renseignements exploitables en temps réel dont elle dispose. Le bon type et la quantité adéquate de catalyseurs et de multiplicateurs de force seront nécessaires pour donner à la composante armée de la Mission la flexibilité, l’agilité et la mobilité dont elle a besoin pour réussir ses opérations ciblées et autres opérations planifiées.
Importance de la génération des forces
Le gouvernement travaille sur l’impératif d’avoir des Forces de Sécurité Nationales Somaliennes responsables, acceptables, capables et professionnelles pour prendre en charge les responsabilités de sécurité des troupes de l’UA. Le GFS a rassemblé des documents clés tels que le « Pacte somalien », l’« Architecture de Sécurité Nationale » de la Somalie et le « Plan de Transition pour la Somalie » (PTS). Tous ces documents, et d’autres, ont, parmi leurs principales dispositions, la nécessité de générer des forces et de professionnaliser l’armée. Les acquis réalisés autour de la génération des forces devraient être consolidés au cours des prochains mois, afin que le transfert de la sécurité de manière responsable aux FSS soit réalisé dans les délais prévus pour la nouvelle Mission.
Des efforts redoublés doivent être mobilisés pour garantir que la mise en œuvre réussie du Plan de Transition pour la Somalie grâce à l’approche actuelle à plusieurs volets et intégrée, soit effectivement réalisée et conduise à un transfert progressif mais régulier de l’entière responsabilité de la sécurité aux autorités somaliennes alors qu’elles continuent à renforcer la capacité des Forces de Sécurité Somaliennes pour mainetenir, protéger, préserver et étendre les gains territoriaux accumulés jusqu’à présent. Les efforts de consolidation de l’État par le renforcement des capacités institutionnelles, l’expansion des activités de stabilisation et l’extension de l’autorité de l’État grâce à une politique inclusive et à la réconciliation devraient permettre une transition que nous visons tous.
Le problème somalien est complexe et de nature politique, nécessitant clairement une approche et une intervention globales et multiformes pour être résolu. L’efficacité de la Nouvelle Mission de l’UA en Somalie dépendra, dans une large mesure, de sa capacité à exploiter les synergies et à renforcer sa capacité d’intervention à l’appui de cet effort. L’obtention d’un financement assuré, adéquat et prévisible pour ses opérations, sa présence continue et l’accès à un équipement approprié sont essentiels.
La transition est un processus complexe. Les amis de la Somalie et toutes les parties prenantes impliquées pour aider le pays à retrouver la paix et à parvenir à la réconciliation et au développement, doivent rester concentrés, se serrer les coudes et s’unir dans leur objectif commun. Il devrait y avoir une division claire du travail, la transparence dans la mise en œuvre des tâches et des engagements, une meilleure coordination et une cohérence, un meilleur partage des informations et une responsabilité mutuelle.
L’Ambassadeur Francisco Caetano Madeira, Représentant Spécial du Président de la Commission de l’Union Africaine et Chef de Mission. Tweeter : @AmbFMadeira
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